Gros navires, gros dollars
« Je me souviens qu’on disait les mêmes choses à
propos du premier bateau sur lequel j’ai travaillé, » a dit Rube
Carpenter, un constructeur naval expérimenté qui habite maintenant à
Port Union. « En 1935, nous avons construit une petite goélette pour un
homme qui allait s’en servir pour pêcher au Labrador. Ce bateau avait
coûté 8,500$ et l’homme qui l’appartenait avait dit qu’il n’en sortirait
jamais son argent. C’est encore la même histoire aujourd’hui. »
Quand on commence à parler de bateaux à Terre-Neuve
aujourd’hui, ça ne prend pas de temps avant d’aborder le sujet du prix,
et du gros prix en plus. Avec la plus grande classe de navires… les
navires de 65 pieds… maintenant d’une valeur de près d’un demi million
de dollars, tous équipés, les pêcheurs qui utilisent ces navires ne sont
plus seulement des pêcheurs à part entière.
Pourquoi est-ce qu’un navire de bois de 65 pieds
coûterait un demi million de dollars? Est-ce que ce prix est une vraie
réflexion de la valeur du navire et, où va cet argent? Est-ce que les
chantiers de construction navale ou les fournisseurs se ramassent un
joli paquet?
Les réponses à ces questions sont difficiles à
trouver. En préparant cet article, Decks Awash a contacté plusieurs
chantiers de construction navale, leur demandant d’établir les coûts
d’un paquebot, item par item, pour nous. Ils ont tous refusé, disant que
de le faire détériorerait leur position compétitive. Par contre, Joe et
Rube Carpenter de Port Union ont accepté de parler des frais de navires,
de façon générale.
Le chantier Carpenter est en opération depuis 1935,
fabriquant des bateaux de pêche de haute qualité. Maintenant que Rube
soit officiellement retraité de la compagnie, son fils Joe, qui est
titulaire d’un diplôme de technologie en architecture navale, continue
avec un commerce qui dit qui n’est pas plus profitable aujourd’hui qu’il
ne l’était dans le passé.
« Par exemple, nous avons lancé un navire ce matin
qui ressemblait beaucoup à l’un que nous avions lancé il y a trois ans,
» se rappelle Joe. « Celui-là a coûté environ 300,000$ tandis que le
même navire aujourd’hui vaut environ 500,000$. Nous ne gagnerons pas
plus pour ce navire que nous avons gagné pour le précédent.
Comme toute autre chose, le coût des navires de pêche
a monté dramatiquement au cours des derniers cinq ans, alors que la
spirale étourdissante d’inflation continue de faire augmenter les coûts
de main d’œuvre et de matériaux. Le coût du navire que les Carpenter ont
lancé ce matin-ci ne fera qu’augmenter. Le navire que les Carpenter ont
lancé ce matin-ci coûtera à son nouveau propriétaire 293,000$ pour le
navire de base, incluant l’équipement de secours et de lutte contre un
incendie mais n’incluant pas les 200,000$ ou plus de frais
d’électronique, d’engins, de machinerie de pont et d’équipement de pêche
qui seront ajoutés par d’autres compagnies.
« La main d’œuvre compte pour environ 50 pourcent de
ce total de 293,000$ » révèle Joe. « Cela va à payer les salaires de
plusieurs professionnels… les bûcherons, les scieurs, les charpentiers,
les électriciens, les tuyauteurs, les mécaniciens, les calfateurs, les
soudeurs et les peintres. » Et, les chantiers doivent payer des salaires
raisonnables ou ils risquent de perdre les hommes très spécialisés
qu’ils ont entraînés. En général, les métiers de construction paient des
salaires bien plus élevés.
Le deuxième gros facteur est le coût des matériaux et
c’est ici qu’un chantier sans scrupules peut faire des économies. Le
chantier Carpenter, un chantier établi depuis longtemps avec une bonne
réputation à protéger, insiste à utiliser de bons matériaux alors que ce
n’est peut-être pas toujours le cas. Brandissant un boulon de bronze de
8 pouces par trois-quarts, Rube explique ce que veut dire le dévouement
à la qualité.
« Ce boulon coûte plus de 12,00$ aujourd’hui, »
note-t-il. « Nous pourrions utiliser un boulon de fer noir qui coûte
1,00$ et les propriétaires ne pourraient pas dire la différence
immédiatement. Mais, dans trois ans, cet homme serait en train de
souhaiter qu’il avait dépensé les quelques dollars supplémentaires pour
le boulon de bronze parce que celui de fer lui causera des problèmes. »
Un autre facteur qui fait augmenter le coût des
matériaux dans une entreprise similaire à toutes autres à Terre-Neuve
est qu’une grande partie de l’équipement et la majorité du bois utilisé
pour les navires est importée du continent, des États-Unis et de pays
encore plus lointains. D’après les charpentiers, alors qu’une certaine
partie du bois nécessaire peut être obtenue localement, la grande partie…
spécialement les morceaux plus longs, tels que le bordage… doit être
importée, ce qui augmente les prix davantage. En plus, comme c’est
souvent le cas, le plus cher que tu paies, le meilleur que ce sera. Donc,
pour obtenir du bon bois, des bons dollars doivent être déboursés.
En plus des coûts croissants du bois et de la main
d’œuvre, il y a une augmentation du coût de faire affaire. Chaque
augmentation de taux des compagnies de téléphones, par exemple, est
reflétée dans la facture mensuelle de 350-400$ du chantier, tout comme
les prix plus élevés des outils essentiels au travail.
Les charpentiers réagissent fortement aux suggestions
que les chantiers font une fortune. « De toute notre vie, nous n’avons
jamais fait beaucoup d’argent » dit Rube Carpenter, en repensant aux
trente-cinq années dans le domaine. « Nous en avons fait suffisamment
pour vivre… pour avoir une maison, conduire une voiture et ça. Mais, je
ne suis jamais parti en vacances dans le sud ou rien. »
D’après ce que les charpentiers ont dit à Decks
Awash, la construction de navires à Terre-Neuve aujourd’hui est une
affaire bien embrouillée, dépendamment des politiques constamment en
changement des gouvernements provincial et fédéral. La nouvelle
association des constructeurs navals, de laquelle les Carpenter sont
membres, pourra peut-être aider à améliorer ce secteur problématique, et
pourra peut-être aussi vérifier la qualité des produits.
Qu’est-ce que réserve l’avenir pour la construction
navale à Terre-Neuve? De toutes indications, les pêcheries le long ou
bien près des rives devraient se développer considérablement au cours
des prochaines quelques années, alors que la politique fédérale pour
régénérer les réserves disponibles aux pêcheurs côtiers soit
initialement mise en action. Et ces hommes, qui qu’ils soient, auront
besoin de navires pour les transporter jusqu’aux fonds de pêche.
« Aussi longtemps qu’il y aura des poissons dans la
mer, il y aura des constructeurs de navires, » remarque Joe Carpenter. «
Tu n’attrapes pas de poissons à partir de camions donc, nous serons
autour pour un temps encore. »
Decks Awash
Vol. 7, No. 5, octobre 1978
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