Le grand débat du chalutier
« Un bateau est comme une
maison, » dit Joe Carpenter, un vétéran de 12 ans du métier de
construction navale. « Il est impossible de concevoir et construire un
modèle qui conviendra à tout le monde. »
Dans ces quelques mots, Joe a
peut-être bien résumé la controverse qui entoure la conception des
bateaux de pêche. Pendant des années, nous, à Decks Awash, avons écouté
alors que les pêcheurs louaient ou maudissaient les bateaux qu’ils
utilisaient. Certains de commentaires des critiques sur les navires
terre-neuviens furent enregistrés et imprimés et une critique très
récente a incité Gerry George, le nouveau chef du conseil des prêts pour
la pêche (Fisheries Loan Board,) à demander qu’on jette un coup
d’œil à la question de l’autre bord. Après plusieurs discussions avec
Gerry, il a suivit Decks Awash au cours d’une journée pour aller voir
trois chantiers de construction navale et les navires qu’ils y
construisent.
Révisons brièvement la liste de
fautes prétendues. La plus proéminente est le célèbre roulement, une
fonction du fond rond et de la largeur comparativement étroite trouvée
sur plusieurs bateaux terre-neuviens. Les bateaux ont également la
réputation d’être trop actifs dans une grosse mer, avec leur tableau
carré et élevé comme cause. En plus, la finition des bateaux laisse à
désirer et, on ne peut pas nier qu’ils sont dispendieux.
Maintenant, adressons le fameux
roulement. Les paquebots traditionnels terre-neuviens sont des
descendants directs des goélettes des bancs qui avaient une largeur
étroite en comparaison et un fond assez rond. Sans l’influence stable de
la voile, les chalutiers ont tendance à rouler d’un mouvement rapide,
une caractéristique qui les rend instables, spécialement en comparaison
avec ceux de l’île du Cap. Par contre, Gerry et d’autres dans le métier
pensent que ceci n’est pas une représentation juste de stabilité et fait
remarquer qu’au meilleur de sa connaissance, aucun chalutier
terre-neuvien n’a chaviré à jour, ce qui ne peut pas être dit de ceux de
l’île du Cap.
Ils seraient rares ceux qui
nieraient que le bateau moyen terre-neuvien roule davantage dans tout
genre de conditions de mer qu’un bateau de dimensions similaires de
l’île du Cap. À « monsieur madame tout le monde, » ceci pourrait
indiquer que ceux de l’île du Cap sont plus stables mais, un architecte
naval ne serait peut-être pas en accord. Le terme stabilité ne signifie
pas à la capacité d’un navire à résister au roulement mais, plutôt sa
capacité ultime à se remettre d’un roulement. Ce roulement rendra
peut-être ce bateau plus difficile à y travailler mais, les experts
pensent que le roulement est, par lui-même, important pour la sécurité
sur de grosses mers. Les navires plus raides sont à plus grand risque de
briser dans la mer.
Il y a des solutions de base au
problème du roulement. Un, qui est illustré dans les bateaux de l’île du
Cap, est d’avoir un fond plus plat. Un autre trait qui réduit le
roulement, également présent dans ceux de l’île du Cap, est d’avoir un
bau plus large. Le troisième est de bâtir le navire plus profondément
dans sa quille, ce qui a tendance à assourdir le roulement.
Mais, la conception de bateau,
tout comme la vie, est une série de compromis. Un fond plat résistera
peut-être trop au roulement et pourrait tordre la coque. Trop de largeur
rend la coque inefficace et elle poussera trop d’eau et donc, sera lente
et dispendieuse à opérer. Et une quille profonde crée plus de résistance
dans l’eau et d’autres problèmes surviennent avec le temps… équipement
et berceau spéciaux, etc. Donc, le pêcheur, tout comme l’automobiliste à
la recherche d’une nouvelle voiture, compare les modèles disponibles,
paie l’argent et choisit.
Les nouveaux navires que Decks
Awash a regardés sont à Trinity, Port Union et Clarenville pour montrer
une évolution intéressante des modèles. Dans ceux de 45 et 55 pieds, le
fond de tonneau fut remplacé par une coque bien mieux formée, et le bau
bien plus ample que les modèles d’autrefois, qui, d’après quelqu’un,
avait été conçu « davantage pour sa capacité de se tenir sur la plage
que pour son habileté sur l’eau. » Avant qu’on ne puisse sortir les
navires de l’eau de la façon qu’on le fait aujourd’hui, les bateaux
devaient être traînés sur les plages quand on les sortait de l’eau et
les fonds ronds solides étaient avantagés. Le chantier de Clarenville et
celui des Carpenter, à Port Union ont leurs propres modèles à suggérer
aux pêcheurs qui recherchent un nouveau bateau dans la classe de 40 à 45
pieds.
Évidemment, les choix deviennent
de plus en plus complexes de nos jours et, de plus en plus de modèles
deviennent disponibles. Le chantier de Clarenville, par exemple, en a un
nouveau de 45 pieds. Conçu par le chantier, le navire impressionne tout
le monde par son bau plus important que celui de tout modèle antérieur,
ce qui devrait dire qu’il aura une meilleure capacité de transport et
sera meilleur sur l’eau. Un exemplaire presque terminé de ce bateau, le
Miss White Bay, était à l’eau et est un bateau bien attrayant, à
l’intérieur et à l’extérieur. Il est vers le haut de la gamme des
navires de plus en plus populaires de classe de 36 à 45 pieds, et la
coque est loin de la forme en tonneau traditionnellement retrouvée sur
les bateaux de sa taille.
Clarenville a présentement
d’autres navires en cours de construction. Plusieurs des nouveaux
bateaux de 55 pieds à divers stades de complétion ont offert à Decks
Awash la chance de voir comment est assemblé un bateau terre-neuvien.
S’il n’y avait qu’un mot pour décrire la construction de ces bateaux,
solide serait le meilleur.
En jetant un coup d’œil à la photo
qui accompagne ce document, vous verrez que le bateau se fait border
doublement. Les couples sont de gros blocs de bois scié et, il y a
beaucoup de boulons en évidence. Ceci veut dire que le bateau devrait
être très fort, capable de bien affronter la force de la mer et capable,
avec les proues recouvertes de bois vert, d’opérer dans les glaces tôt
au cours de la saison. Celui de l’île du Cap, en contraste, a des
couples arrière courbés, qui ont moins de force que le bois massif. Ils
sont habituellement simplement bordés et généralement plus légers. La
comparaison de coût entre les deux est difficile à faire, mais en se
basant sur de nouveaux bateaux, le coût semble à peu près égal.
Un dernier point à considérer
entre le chalutier terre-neuvien et celui de l’île du Cap : aucun de ces
bateaux n’existe réellement aujourd’hui. Le chalutier est maintenant
appelé, de façon plus appropriée, un bateau de pêche multi usage, tandis
que l’évolution de celui de l’île du Cap fait de certains de ses
descendants difficiles à retracer à l’original de l’île du Cap.
Certains problèmes encourus par
les modèles terre-neuviens résultent du mauvais emploi du navire, plutôt
que de la faute du navire. Peu importe comment ingénieusement conçu et
bien construit qu’est un navire, il ne se portera pas bien s’il est
utilisé pour des pêches radicalement différentes que celles pour lequel
il fut conçu. Plusieurs problèmes sont survenus lorsque des bateaux
traditionnels utilisés pour la pêche à la palangre étaient pontés afin
de transporter l’équipement de chalutage, puisque le poids
supplémentaire affectait défavorablement sa manutention. Semblablement,
un bateau construit pour prendre à bord 80,000 livres de charge payante
de façon parfaitement sécuritaire peut devenir un piège à mort si le
capitaine empile 110,000 livres de poisson à bord et que la mer surgit
ensuite.
Le conseil des prêts pour la pêche
encourage activement les pêcheurs qui veulent avoir des bateaux conçus
comme ils les veulent de travailler avec le conseil afin que leurs idées
soient traduites en de bateaux de pêches fonctionnels. Par contre, ce
procès est loin d’être simple et les jours du « constructeur du coin »
sont pas mal terminés. Avec les gros navires coûtant de 300,000$ à
500,000$, de bons chantiers sont nécessaires pour un travail compétant.
Tout navire de pêche construit
aujourd’hui doit rencontrer les critères internationaux de stabilité et
le chalutier terre-neuvien n’y fait pas exception. Les méthodes de
construction sont contrôlées de près et le conseil de prêts a hâte, pour
citer Gerry George, « de sortir de la conception et la construction. »
Il voit le conseil devenir de plus en plus actif comme source
d’assistance financière et de conseils techniques.
L’industrie terre-neuvienne de
construction navale a ses problèmes aussi et, la plupart sont trop
complexes pour adresser dans cet article. Avec le travail rare et les
salaires augmentant, plusieurs chantiers sont pris dans une contrainte
économique et font face à de la dure compétition pour les contrats
disponibles. Si un chantier ferme lors d’une baisse de travail, les
menuisiers très qualifiés partent parfois pour se trouver un emploi dans
l’industrie de la construction et le chantier, lorsqu’il aura
suffisamment de travail pour ouvrir à nouveau devra entraîner encore une
fois de nouveaux employés. Les politiques fluctuantes de primes
fédérales contribuent à l’instabilité de l’industrie, rendant la
planification de production de navires presque impossible.
Cet article n’est pas prévu pour
défendre le chalutier terre-neuvien ou pour avoir les derniers mots sur
la conception de navires. Par contre, on espère qu’il offrira un aperçu
de l’autre bord de cette controverse continue pour laquelle il n’y a
probablement pas de réponse ferme et finale. La question « quel bateau
est le meilleur pour moi » doit être répondue par chaque propriétaire,
en se basant sur son propre style et type de pêche, son équipement, son
logement et, une multitude d’autres facteurs.
Comme nous avons dit plus haut, tu
paies ton argent et tu choisis… « We were said earlier, you pays your
money and you takes your choice. »
Dans notre prochaine parution,
nous regarderons un autre aspect de la construction navale à
Terre-Neuve.
Decks Awash
Vol. 7, No. 3 juin 1978
|